Interprétation stricte de la clause de mobilité

Interprétation stricte de la clause de mobilité en cas de travail à domicile

Chambre sociale, 31 mai 2006 (Bull n° 196)

Lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié. Ayant constaté que les parties étaient convenues que le salarié effectuerait, aux frais de l’employeur, son travail à son domicile deux jours par semaine, la cour d’appel a pu décider que le fait pour l’employeur de lui imposer de travailler désormais tous les jours de la semaine au siège de la société constituait, peu important l’existence d’une clause de mobilité, une modification du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser.

Clause de mobilité – Interprétation stricte
Chambre sociale, 20 décembre 2006 (pourvoi n° 05-42.224)

Par un arrêt rendu le 12 janvier 1999 (Bull., V, n° 7) la Chambre sociale de la Cour de cassation, au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a énoncé que le libre choix du domicile personnel est un attribut du droit de toute personne au respect de son domicile et qu’une restriction à cette liberté par l’employeur n’est valable qu’à la condition d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi occupé et du travail demandé, au but recherché. Cette solution a été reprise par un arrêt de la même Chambre sociale du 12 juillet 2005 (Bull.,V, n° 241) et par un arrêt de la Première chambre civile du 7 février 2006 (Bull., I., n° 52). Un autre arrêt de la Chambre sociale du 2 octobre 2001 (Bull., V, n° 292), rendu au double visa de l’article 9 du code civil et de l’article L. 120-2 du code du travail, affirme qu’un salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail. Il s’agissait d’un salarié qui initialement disposait d’un bureau dans les locaux de sa société, laquelle avait entendu par la suite lui imposer de travailler à son domicile ; mais bien entendu un salarié pourrait accepter de travailler chez lui soit ab initio lors de la conclusion du premier contrat de travail, soit ultérieurement s’il accepte un tel changement.

La liberté fondamentale du choix de son domicile par le salarié est donc fermement affirmée.

Mais lorsqu’un salarié a accepté de travailler à temps partiel ou complet à son domicile, se pose la question de savoir si le pouvoir de direction de l’employeur, en particulier lorsqu’une clause de mobilité est insérée dans le contrat de travail, permet de modifier cette modalité de l’exécution de la prestation de travail sans l’accord du salarié.

Dans un cas où les parties étaient convenues d’une exécution de la prestation de travail par le salarié à son domicile et selon un horaire de travail déterminé librement par l’intéressé, la Chambre sociale (Soc., 12 décembre 2000, Bull.,V, n° 417) avait décidé que l’employeur en imposant au salarié d’exécuter son travail au siège de l’entreprise et en remplaçant un horaire libre par un horaire fixe, avait modifié le contrat de travail et que le refus de cette modification par le salarié ne constituait pas une cause de licenciement. Par un autre arrêt du 13 avril 2005 (Bull.,V, n° 137) la même Chambre a considéré que, dès lors qu’un salarié avait été autorisé lors de son embauche à effectuer la partie administrative de son travail à son domicile deux jours par semaine (le reste de son travail s’effectuant chez des clients), le fait de lui imposer de se rendre désormais au siège de l’entreprise, situé à une grande distance (plus de 200 km), pour exécuter ce travail constituait une modification de son contrat de travail qu’il était en droit de refuser.

Dans la présente espèce, les parties étaient convenues, en cours d’exécution du contrat de travail, qu’une salariée, responsable de communication, effectuerait son travail à son domicile, situé dans les Pyrénées-Orientales, deux jours par semaine, en ne se présentant au siège de la société, situé dans les Hauts-de-Seine, qu’en milieu de semaine, l’ensemble de ses frais de déplacement étant pris en charge par son employeur. Au retour du congé de maternité de cette salariée, l’employeur lui a demandé de revenir exercer ses fonctions tous les jours de la semaine au siège social, ce qu’elle a refusé. Elle a été licenciée pour faute grave tenant à un abandon de poste. Le conseil de prud’hommes, retenant que la fixation du lieu de travail relevait de la mise en oeuvre de la clause de mobilité prévue au contrat, et donc du pouvoir de direction de l’employeur, avait écarté la faute grave mais retenu l’existence d’une cause réelle et sérieuse. Par arrêt infirmatif, la cour d’appel, considérant que l’accord des parties portant sur l’accomplissement du travail à domicile constituait une modification du contrat de travail qui échappait au jeu de la clause de mobilité prévue au contrat et ne pouvait être modifiée que par un nouvel accord des parties, a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Chambre sociale, en approuvant cette décision par un attendu de principe suivant lequel « lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié« , a donc clairement écarté la thèse consistant à considérer le domicile comme un lieu de travail comme un autre, et soumis comme tel aux règles applicables en la matière, qui permettent de considérer qu’il n’existe pas de modification du contrat de travail lorsque l’employeur met avec bonne foi en oeuvre une clause de mobilité. Mais la portée de cet arrêt est limitée au cas où il est mis fin à l’exécution d’une partie du travail à domicile et il ne tranche pas l’hypothèse du seul changement du lieu où le salarié doit exécuter l’autre partie de son travail.

Cette décision peut être mise dans la perspective du droit positif sur le télétravail. L’application de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail, qui reprend l’accord-cadre européen du 16 juillet 2002, adopté selon la procédure de l’article 139 du traité sur l’Union européenne, devrait mettre fin à l’insécurité juridique dans ce domaine, qui s’était jusqu’à présent développée dans un cadre largement informel. Le télétravail y est défini comme « une forme d’organisation du travail utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat de travail, et dans laquelle un travail qui aurait pu être réalisé dans les locaux de l’employeur est effectué hors de ces locaux de façon régulière« . L’accord prévoit notamment les conditions de recours à cette organisation et les modalités de réversibilité.

L’arrêt du 20 décembre 2006 rejoint, en partie, le précédent en ce qui concerne la portée d’une clause de mobilité qui est inopérante pour contraindre un salarié à accepter la remise en cause du travail à son domicile. Une clause de mobilité ne peut pas davantage – et c’est l’apport de l’arrêt du 20 décembre – permettre à l’employeur d’imposer à un salarié un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements. D’une façon générale d’ailleurs la Chambre sociale – comme en matière de clause de non-concurrence (Soc., 17 janvier 2006, Bull., V, n° 15) – s’attache à une interprétation stricte des clauses de mobilité que le salarié, en particulier lors de son embauche, n’a pas réellement la possibilité de négocier s’il souhaite obtenir un emploi. C’est ainsi que des arrêts du 7 juin 2006 (Bull., V, n° 209) et du 12 juillet 2006 (Bull., V, n° 241) exigent une définition précise de la zone géographique d’une telle clause. Certains commentateurs se demandent d’ailleurs si, à l’instar de la clause de non-concurrence, la validité d’une clause de mobilité ne devrait pas être subordonnée à un certain nombre de conditions tenant, par exemple, à la nature de l’emploi, aux besoins objectifs de l’entreprise et à la nécessité de préserver les droits légitimes des salariés quant à sa mise en oeuvre.

L’arrêt du 31 mai 2006

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